« Le PS, c’est dur avec les faibles, faible avec les forts ! » [un entretien avec Bertrand Rothé]
Bertrand Rothé, agrégé d’économie et professeur, est l’auteur de l’essai De l’abandon au mépris, sous-titré Comment le PS a tourné le dos à la classe ouvrière (éditions du Seuil). Il y raconte comment les socialistes ont, en 30 ans, renié ceux qu’ils ont toujours prétendu défendre. Comment, lorsqu’il s’agit de libéraliser, la droite et la gauche chantent en chœur. Comment l’Union européenne a couvert le cercueil des travailleurs de fleurs empoisonnées. Comment un parti aussi infect que le Front National a pu, sur la même période, devenir l’une des principales forces politiques du pays à mesure que s’effondrait le Parti Communiste [1]. Entretien avec un homme éclairé.
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Vous revenez sur l’histoire de la construction européenne : un mélange d’anticommunisme et de libéralisme assumé. Ses fondements la programmaient donc à une politique antisociale ?
Je vais vous répondre en vous renvoyant à un livre, sans doute le plus intéressant sur la question : L’Europe sociale n’aura pas lieu. C’est ma petite bible. Ce livre a l’avantage de remettre l’Europe dans son histoire. En 1957 le pouvoir de l’argent souhaite contrôler le développement de l’État-providence qui lui coûte cher. Il veut limiter le développement social impulsé par le CNRen France et par Lord Beveridge en Grande-Bretagne. Les politiques mises en place étaient alors plutôt en faveur des salariés (pas seulement, mais plutôt) et permettaient un rééquilibrage important des politiques libérales qui ont prévalu durant l’entre-deux-guerres. Un observateur ne s’y trompe pas ; Pierre Mendès France — qui n’est pas un gauchiste, rappelons-le — voit les catastrophes arriver ! Il a l’intuition que derrière les grands discours sur la paix, on risque de détruire les acquis mis en place depuis 1945. Notre système de protection sociale et le jeune SMIG seront mis en concurrence. Ils ne pourront pas tenir. Le moins-disant gagnera. Il a prévu ce qui allait se passer. Donc oui, les pères de l’Europe ont choisi sciemment une Europe libérale en s’appuyant sur l’Allemagne et l’ordolibéralisme. Le CNPF (le MEDEF de l’époque) l’affirmait de façon très précise : il remercie les fondateurs, il fallait reprendre la main sur les politiques. En 1958, le pouvoir de l’argent, celui des actionnaires, les 300 familles, pour reprendre l’expression de Daladier, a marqué des points. L’Histoire surévalue le tournant de la fin des années 1970 et du début des années 1980. La reprise en main, Le grand bond en arrière pour reprendre un titre de Serge Halimi, commence en 1958. Ronald Reagan, Margaret Thatcher et Jacques Delors ne font qu’accélérer un mouvement.