Que nous apprend la scène de ménage PCF - PG [blog de Descartes]
Les affaires ne s’arrangent pas au Front de Gauche. Après le vote des militants communistes parisiens qui ont approuvé à 57% la proposition de constituer une liste commune avec les socialistes, la tempête gronde. Au PG, les réactions sont violentes. On le sait, chez les gauchistes les chiens de l’anticommunisme ne dorment d’habitude que d’un œil, prompts à se réveiller à la moindre alerte. Et il suffit de lire les commentaires sur le blog de Jean-Luc Mélenchon pour voir à quel point ils sont maintenant réveillés. Comme le blog en question est fortement « modéré » pour supprimer tout commentaire qui ne serait pas dans la ligne, on peut supposer que ce déferlement est souhaité, sinon encouragé, par le taulier.
Il faut dire que le Petit Timonier y va lui aussi de son couplet. On retrouve d’ailleurs dans sa prose cette manière si personnelle d’adapter les faits pour qu’ils collent avec ses arguments. J’avais eu l’occasion de donner plusieurs fois sur ce blog des exemples de ce genre de manipulation, mais aucun n’était aussi flagrant que celui d’aujourd’hui. Après la déception qu’a constitué le vote des communistes de Paris en faveur d’une liste commune avec le PS, il réécrit l’état des forces sur son blog : « L’orientation de la fédération communiste de Paris, acquise à 90 % dans deux sections et cent soixante-dix pauvres voix d’avance, est en fait très minoritaire dans le PCF ». Comment le sait-il ? Voilà le raisonnement : « Au contraire, la ligne de l’autonomie est ultra majoritaire dans le peuple communiste du pays. La preuve en a été donnée en fin de semaine par le vote de Lyon où la ligne pro-socialiste perd et où le choix de l’autonomie l’emporte largement ».
Mais regardons les chiffres : à Paris, la ligne « pro-socialiste » fait avec 170 voix de plus que ses adversaires 57% des voix parmi les adhérents communistes. A Lyon, la ligne « de l’autonomie » fait 52% des voix seulement. On ne connaît pas les chiffres de participation, mais étant donné que Lyon ne compte que 250 communistes en état de voter (c'est-à-dire, à jour de leurs cotisations, voir l’Humanité du 24 octobre 2013), les 2% qui ont fait la différence représentent tout au plus… 5 voix. C’est drôle, non ? A Paris, 170 « pauvres » voix d’avance ne prouvent rien. A Lyon, 5 voix suffisent pour que « l’autonomie l’emporte largement », et faire la preuve que « la ligne d’autonomie est ultra majoritaire dans le peuple communiste du pays ». Curieux, n’est ce pas ?
En fait, Mélenchon et les siens ont tort de crier à la traîtrise. Vrai, ils proclament depuis des mois que le Front de Gauche doit faire partout des listes autonomes au premier tour. Mais ce n’est pas parce que le PG choisit une stratégie que celle-ci doit devenir celle du Front dans son ensemble. Les communistes ont toujours indiqué que leur analyse était différente, et qu’il était hors de question pour eux de choisir une stratégie unique au niveau national, ne serait-ce que parce que les statuts du PCF prévoient que ce sont les militants qui choisissent localement la stratégie pour les élections locales. On peut le regretter ou s’en réjouir, mais le fait est que le PCF a abandonné depuis longtemps le centralisme démocratique, et je souhaite beaucoup de bonheur à ceux qui aujourd’hui s’aviseraient de le rétablir…De ce point de vue, le PCF a pour lui au moins le mérite de la cohérence. On peut difficilement lui reprocher aujourd’hui un choix qu’il a annoncé depuis bien longtemps. Si Mélenchon et les siens n’ont pas voulu l’écouter, ce n’est pas leur faute. Mélenchon est d’ailleurs très incohérent dans cette affaire : alors qu’il tonne - au nom d’une « clarification » vis-à-vis de la politique du gouvernement Ayrault-Hollande - contre tous ceux qui acceptent des alliances de premier tour avec le PS, il se félicite au contraire que dans certaines contrées il y ait des alliances de premier tour entre le Front de Gauche et EELV. Il est vrai que certains dirigeants – et même certains ministres – écologistes ont critiqué la politique du gouvernement. Mais c’est aussi le cas de plusieurs dirigeants – et même de certains ministres – socialistes. Au nom de quoi Mélenchon juge que les protestations de Placé ou de Duflot lavent les péchés d’EELV, alors que les déclarations de Bartolone ou de Montebourg ne lavent pas ceux du PS ?
En fait, tout ce cirque est la conséquence d’une incapacité totale de la « gauche radicale » à élaborer une véritable analyse qui permette d’encadrer les rapports avec le parti socialiste dans une doctrine rationnelle qui puisse être expliquée à l’opinion. A défaut de faire ce travail, on ne peut que naviguer à vue, en fonction des nécessités tactiques du moment. Car il ne faut pas se voiler la face : n’en déplaise aux anarcho-syndicalistes toujours très présents dans la « vraie gauche », le PS existe, et il occupe une place dominante dans le spectre politique français en général et dans ce qu’on appelle « la gauche » en particulier. Dans la mesure où on n’est pas prêt à aller chercher des alliés ailleurs – et « ailleurs », c’est forcément à droite – on voit mal comment on pourrait trouver une majorité pour faire avancer un projet sans un modus vivendi avec le PS.
Dieu sait que je n’ai la moindre tendresse pour le parti socialiste. Mais je suis trop réaliste pour laisser mon antisocialisme obscurcir mon jugement. Dans un contexte qui n’est pas celui d’une révolution mais celui d’un processus démocratique et institutionnel, il faut pour pouvoir participer au pouvoir constituer des majorités. La question est donc comment y arriver. L’idée qu’on pourra constituer une telle majorité en s’adressant aux électeurs socialistes par-dessus la tête de leurs dirigeants et les gagner en quelque sorte à une politique « vraiment à gauche » est absurde. Dans un parti d’élus comme le PS, les dirigeants suivent leur électorat plus qu’ils ne le guident. Les dirigeants du PS sont « social-libéraux » parce que leurs électeurs sont « social-libéraux », et pas l’inverse. Bien sûr, les électeurs socialistes vous diront qu’ils veulent un « vrai changement ». Mais le « vrai changement » coûte cher, particulièrement aux classes moyennes. C’est pourquoi l’électorat socialiste est parfaitement content de rêver du changement avant les élections, mais devient conservateur après. Si les électeurs socialistes voulaient une « véritable politique de gauche », ils l’auraient déjà fait savoir en votant pour les candidats qui sont prêts à mettre en oeuvre ces politiques.
La « vraie gauche » ne veut pas comprendre une réalité qui est pourtant déterminante : elle est minoritaire. Et dans un contexte démocratique, un parti minoritaire ne peut espérer un gouvernement qui ferait à 100% sa politique. Participer à une majorité en rêvant qu’elle fera une « vraie politique de gauche » - c'est-à-dire, la sienne – conduit nécessairement aux déceptions. Ne pas y participer, c’est se condamner à se marginaliser du processus institutionnel et ne jouer qu’un rôle d’influence. C’est un choix parfaitement respectable, mais qu’il faut assumer pleinement. C’est sur ce choix que les rapports entre le PCF et le PG se tendent. Le PCF est héritier d’une longue tradition institutionnelle. C’est intimement un « parti de gouvernement », même s’il n’a gouverné vraiment que des collectivités locales. Le PG est, lui, héritier d’une tradition anti-institutionnelle qui plonge loin ses racines dans le gauchisme français. Le premier est habitué à agir sur le réel à partir de ses relais élus dans les communes, dans les départements, dans les régions, dans les assemblées et lorsqu’il en a l’opportunité, au gouvernement. Le second agit à travers le magistère de la parole d’un leader charismatique. Pour le PCF, la tactique électorale est déterminée par le souhait de conserver ses élus et éventuellement d’en gagner. Pour le PG, l’objectif tactique est d’avoir une tribune et d’y faire autant de bruit que possible. Que le PG ait réussi à attirer une grande partie des militants communistes dans une tactique de « autonomie conquérante » - puisque semble-t-il ce sera la configuration dans la plupart des communes lors des prochaines municipales – montre combien le PCF a dérivé par rapport à son modèle historique.
En fait, les deux tactiques sont rationnelles. A condition de les inscrire dans une stratégie qui soit en mesure de leur donner un sens. Et c’est là que les problèmes commencent. Le PCF doit une bonne partie de son affaiblissement à l’incapacité de définir une telle stratégie, incapacité qui tient au refus des directions successives d’assumer ce choix comme étant un choix tactique. Il est d’ailleurs étonnant de constater combien dans un parti qui se prétendait matérialiste l’idéalisme régnait au point de rendre impossible l’admission qu’on puisse agir en fonction de considérations tactiques. Cet idéalisme a abouti à créer des illusions qui ne pouvaient qu’être déçues. Un accord entre des organisations aux conceptions politiques aussi différentes que celles du PS et du PCF ne pouvaient aboutir, étant donné le rapport de force, qu’au résultat qu’on connaît : un bœuf de politique PS, et une alouette de politique PCF. L’erreur du PCF a été de ne pas annoncer à ses électeurs la couleur en leur annonçant qu’ils n’auraient que l’alouette, et rien de plus. Si le PCF avait expliqué dès le départ les limites de sa démarche, s’il avait martelé que ses accords avec le PS n’étaient pas le signe d’une convergence politique, mais un moyen de tourner les contraintes du scrutin majoritaire, les électeurs l’auraient compris. Mais le PCF a choisi de tenir un autre discours, celui d’une véritable convergence politique aboutissant à une « véritable politique de gauche ». On nous a fait le coup en 1974, en 1981, en 1997. C’était se moquer de l’intelligence des électeurs, et les électeurs ont fini par se lasser.
« L’autonomie conquérante » que propose Mélenchon n’est pas forcément une mauvaise tactique. Après tout, le FN la pratique depuis bientôt trente ans et cela lui a permis d’acquérir une véritable influence sur les politiques publiques. Mais cela ne marche que si le choix tactique s’inscrit dans une stratégie cohérente dans le temps. Et cela suppose de répondre à une question cruciale : que fait-on au deuxième tour ? Toutes les propositions « d’autonomie » ont buté sur cette question. Car si c’est pour voter inconditionnellement au deuxième tour pour la liste de gauche arrivée en tête, alors on comprend mal le sens de la démarche dans un système électoral qui pénalise les petites listes. Et si l’on ne vote pas inconditionnellement pour la liste arrivée en tête, qu’est ce qu’on fait ? Mélenchon est-il prêt à poser publiquement des conditions et à appeler ses électeurs à boycotter la liste socialiste – au risque de faire passer le candidat de droite, voire d’extrême droite – au deuxième tour si elles ne sont pas satisfaites ? S’il n’est pas prêt à le faire, alors la stratégie de « l’autonomie conquérante » ne peut aboutir qu’à un désastre. C'est-à-dire à un violent tête-à-queue entre les deux tours, avec un appel à voter le lendemain pour ceux qu’on honnissait la veille.
Le seul aspect positif de cette scène de ménage entre le PCF et le PG, c’est de montrer combien la question des rapports avec le PS devient la question stratégique essentielle à discuter dans les cénacles du Front de Gauche. Ce n’est pas une question qu’on peut régler avec des jérémiades – comme le fait Mélenchon – pas plus qu’on ne peut la régler en faisant semblant de ne pas voir le problème avec l’espoir que celui-ci finira par disparaître tout seul – comme le fait le PCF depuis plus de vingt ans. On ne la réglera pas non plus en rêvant que le Front de Gauche deviendra dominant à gauche et que le PS sera donc obligé de se désister pour lui – comme le soutiennent un certain nombre de groupuscules délirants. Si la « gauche radicale » veut avancer, le moment est venu de faire confiance à l’intelligence de ses électeurs. Mais peut-être préfère-t-elle les délices de la pureté révolutionnaire, cet autre nom de l'impuissance ?
Descartes