Il faut prôner le conservatisme progressiste [UEC - étudiants communistes de Grenoble]
Pendant une conférence d’ouvrier-ère-s à l’IEP de Grenoble, [1]un des assistants s’est permis d’interrompre les conférencier-ère-s pour intervenir et donner son opinion. L’homme en question dis « l’argent a gagné, maintenant il faut se démerder seul ». Ce triste constat témoigne d’une situation macabre qui empêche un mouvement d’émancipation potentiellement énorme de se créer : la divergence des générations.
D’une part il y a nous, les jeunes. Ladite génération Y [2]qui peine à s’intégrer dans cette société hypercapitaliste, où le marché du travail est de plus en plus oppressant, qui se rapproche de plus en plus vers la précarité et la ségrégation des classes et qui, ironiquement, se dépolitise de plus en plus.
Par ailleurs, il y a les vieux-lle-s[3], la génération de nos aïeux, qui a vécu les années de l’après-guerre pour les plus âgé-e-s et Mai 68 pour les plus jeune-s. Cette génération a vu la création et la destruction du modèle social français, elle a lutté pour le maintenir, hélas en vain. Cette génération 68, vit avec les fruits du modèle de la cotisation, à travers les retraites, même si celles-ci ne sont plus ce qu’elles étaient jadis. Cette génération est en partie déçue, elle est pessimiste, elle voit le modèle social pour lequel elle s’est battue succomber face à l’avancée de l’économie de marché.
Comment unir ces deux bouts ? Comment réunir jeunes délaissé-e-s, dépolitisé-e-s, précarisé-e-s, avec les vieux-lle-s déçu-e-s, pessimiste-s, embourgeoisé-e-s ? Quel est l’enjeu de cette convergence intergénérationnelle ?
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C’était mieux avant, certainement. Les avancés incroyables de la cotisation ont permis la création des structures émancipatrices du capitalisme comme la sécurité sociale, l’assurance-chômage et le fonds national des retraites. Cette ponction du salaire collectivisé a permis, pendant quelques décennies, le recul progressif du capitalisme en France[4]. La génération de nos aïeux bénéficie encore, en quelque sorte, de ces avancés incroyables vers le salaire socialisé[5]. Cependant, la destruction progressive de ce modèle par les réformistes socialistes, la généralisation de l’économie de marché à travers la grande dérégulation financière qu’on appelle la mondialisation ainsi que les défaites récentes des mouvances contestataires comme les mouvements d’opposition à la réforme des retraites et d’opposition à la loi travail, ont créé un sentiment défaitiste dans cette génération 68. Pourtant, ces vieux-lle-s, devraient au contraire avoir une approche optimiste, et montrer à nous les jeunes, les bénéfices du système de cotisations. Seuls quelques auteurreuses et intellectuels réalisent ce travail, Bernard Friot, cité plusieurs fois ci-dessous, ainsi que Gilles Perret, réalisateur de renom[6], militent dans ce sens. Comment nous les jeunes, pouvons prôner pour le maintien de ce système alors que ceux qui devraient nous montrer ses vertus ne le font pas ?
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Aujourd’hui le conservatisme est mal perçu, surtout dans notre génération. Souvent on associe le conservatisme à la droite, même à l’extrême droite. Les médias dominants, ainsi que les gouvernants prônent pour un pseudo progressisme qui nous mène vers une généralisation encore plus oppressante de l’économie de marché. Quand Manuel Valls dit sur un discours [7]: « Il faut bouger. Il y en a qui sont encore au XIXe siècle, moi, et les membres du gouvernement ici présents, nous sommes dans le XXIe siècle et nous savons qu’économie et progrès social vont de pair. » il est bien en train de jouer la carte du progrès. La génération Y, bien qu’elle soit dépolitisée et qu’elle exprime un certain dégoût envers la classe politique actuelle, est bombardée constamment de discours de ce genre. C’est pour cette raison, qu’il ne faut pas (plus) avoir peur de prôner ouvertement une mouvance conservatrice. C’était mieux avant, c’est un fait. Ce graphique nous montre l’évolution des salaires des dernières années :
Nous pouvons, au même temps, observer un ralentissement général de l’évolution des conditions de vie des 9 déciles les plus pauvres, voire une dégradation énorme des conditions de vie du décile le plus pauvre :
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Il est donc temps, il est urgent, de récupérer politiquement le conservatisme économique. C’est là où le rôle de nos aïeux est fondamental, car c’est à eux de nous montrer à quel point leur vie était meilleure[9]. Cependant, il n’est pas non plus question de jouer le rôle du Front National. Au contraire, nous devons prôner pour la généralisation du modèle des cotisations. Voilà donc notre lutte : demander le salaire à vie, demander la généralisation de la cotisation, le maintien et l’expansion de notre modèle social. En d’autres termes, nous devons prôner un conservatisme progressiste.
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La convergence intergénérationnelle est un élément-clé de la lutte des classes moderne. C’est que à travers une collaboration étroite entre les vieux-lle-s et nous les jeunes que nous pouvons premièrement arrêter l’offensive ultra libérale capitaliste, et, dans un deuxième temps, généraliser notre modèle social pour permettre l’émancipation générale du travail, pour nous les jeunes car demain, il est hélas très probable que notre situation soit bien plus précaire, bien plus grave, que la situation actuelle de nos aïeux.
La structure émancipatrice existe, c’est le salaire socialisé. Nous devons prôner pour sa généralisation. Aujourd’hui il existe un débat au sein du sénat pour mettre en place ce qu’on appelle un revenu de base, débat pourtant très médiatisé par les journaux de centre gauche[10]. Le problème, c’est que ce dit revenu de base ne reconnaît pas la richesse économique créée par le travail humain. Même si ce revenu de base peut bouleverser le rapport à l’emploi, c’est-à-dire la convention capitaliste du travail, il ne représente dans aucun cas une révolution, mais, au contraire, une voie de secours d’un capitalisme mourant. Il est aujourd’hui indispensable de mettre en relief l’idée d’un salaire à vie, socialisé, financé par la cotisation et la mise en commun des richesses produites. C’est qu’ainsi que nous pouvons, tous-te-s ensemble, converger vers un nouveau mode de production, plus proche des êtres humains.
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[1] Conférence organisée par Contre-Courants Grenoble sur la SCOP Eco-Pla qu’actuellement est en pleine bataille juridique pour s’émanciper des actionnaires qui ont détruit la boîte. Pour plus d’information au sujet d’Eco-Pla suivez la page https://www.facebook.com/EcoplaSCOP/?fref=ts
[2] La génération Y est le terme utilisé pour décrire notre génération de jeunes qui peinent à s’intégrer dans le système actuel. Usul2000 a fait une vidéo très intéressante sur la génération Y consultable gratuitement sur ce lien :https://www.youtube.com/watch?v=yMOlTGHpZKg
[3] Même si ce mot a une connotation péjorative, il n’est ici point question d’utiliser cette connotation, mais de décrire simplement la génération symétriquement placée par rapport à la nôtre.
[4] C’est la thèse de Bernard Friot, pour mieux comprendre les différentes théories de ce remarquable économiste marxiste se référer à L’enjeu du salaire, éditions La dispute. Pour ceux qui n’aiment pas lire, une vidéo de Usul2000 expose très bien les théories de Friot :https://www.youtube.com/watch?v=uhg0SUYOXjw
[5] Le salaire socialisé est tout simplement un salaire qui provient des cotisations, des ponctions de salaire, de valeur économique créé. La retraite est encore aujourd’hui un salaire socialisé, même si les réformistes cherchent à la détruire.
[6] Un des derniers films, appelé La Sociale de Perret décrit la création par des communistes comme Ambroise Croizat de la sécurité sociale. Friot lui-même apparaît plusieurs fois dans le film.
[7] Paroles prononcées le 22 février 2016 lors d’un déplacement à Chalampé. Vidéo disponible sur :http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/droit-du-travail/video-reforme-du-code-du-travail-il-y-en-a-qui-sont-encore-au-xixe-siecle-nous-nous-sommes-dans-le-xxie-siecle-defend-valls_1326713.html
[8] Extrait du livre Déchiffrer l’économie de Denis Clerc, page 355 chapitre :inégalités et pauvreté.
[9] Nota bene : nous ne sommes pas en train de glorifier lesdites trente glorieuses, loin de là. Il n’est pas question non plus de dire que les conditions des travailleureuses à l’époque étaient optimale. Ce que nous voulons exprimer ici, c’est que le modèle social de l’époque, ainsi que la distribution des richesses de l’époque était meilleure.
[10] Comme le montre cet article du journal Le Monde du 21 octobre 2016.http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2016/10/21/revenu-de-base-les-propositions-des-candidats-a-la-presidentielle_5018302_823448.html
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