Pour soutenir la GRÈVE, comment fonctionne la CAISSE DE SOLIDARITÉ ?
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Pour soutenir la GRÈVE, comment fonctionne
la CAISSE DE SOLIDARITÉ ?
Dans le cadre du mouvement social contre la réforme des retraites, tout le monde ne peut pas faire grève : certains ne travaillent pas ou plus, d’autres n’en ont pas la possibilité (indépendants, trop petite entreprise, statut précaire), d’autres encore occupent un poste dont l’arrêt n’aurait aucun véritable impact sur l’économie et le rapport de force actuel… L’un des moyens de participer au mouvement est de donner aux caisses de grève, pour permettre à ceux qui la font de tenir le plus longtemps possible et ainsi, de faire plier le gouvernement pour le bonheur des classes laborieuses ! Une caisse nationale existe, qui aide tous les grévistes, qu’ils soient syndiqués ou pas. Créée en 2016, la Caisse de Solidarité permet à tout le monde de donner, en ligne ou par courrier. Mais comment fonctionne-t-elle ? Peut-on lui faire confiance ? Nous avons répondu à plusieurs questions que l’on peut légitimement se poser, que l’on soit gréviste en demande d’aide ou non-gréviste voulant aider.
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Samedi 11 mars 2023 dans « la Marseillaise »:
« Les réseaux sociaux ont permis de désenclaver les solidarités ouvrières »
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La Marseillaise : À quand remontent les premières caisses de grèves?
Gabriel Rosenman : Les premières traces que j’ai retrouvées dans les archives remontent à la révolte des Canuts lyonnais en 1831, qui étaient des tisseurs de soie. Ils avaient mis en place une structure mutuelle, « le devoir mutuel », qui mettait en commun des ressources pour pallier les pertes de rémunérations liées à un arrêt de travail. Durant l’essentiel du XIXe, les caisses de grève ont pris cette forme que l’on appelait les sociétés de secours mutuelles, qui regroupaient les ouvriers d’un même métier ou d’une même ville, pour faire face aux différents risques inhérents à leur vie professionnelle. La grève, légalisée à partir de 1864, était aussi prise en charge. Cette méthode a muté vers la fin du XIXe avec la constitution des centrales syndicales, puis des fédérations et de la CGT, qui ont pris en charge la collecte et la transmission des fonds en solidarité avec les grèves.
L’avènement de ces caisses de grève a-t-il soulevé des débats au sein de la classe ouvrière?
G.R. : Tout à fait. L’un des débats a beaucoup occupé la jeune CGT avec l’un des plus importants syndicats, celui du Livre, et le courant syndicaliste révolutionnaire, opposé à l’accumulation de l’argent et aux caisses « bien remplies » qui avait tendance selon ses partisans à rendre les syndicats moins combatifs. Un autre débat mettait en jeu ce que Jacques Julliard appelait « l’impératif d’autonomie ouvrière » qui dissuadait les ouvriers en grève d’accepter des fonds dont l’origine n’était pas ouvrière, pour ne pas mélanger le combat ouvrier à la philanthropie bourgeoise. Plus tard a émergé la question de la pérennisation des caisses de grève. Ce que l’on constate actuellement, c’est le risque perçu par certains syndicalistes que l’appel aux dons soit vécu comme une forme de grève par procuration. Ce qui ne correspond pas exactement à la réalité que j’ai observée sur une caisse de grève dans mon enquête, qui montre que les donateurs sont pour un tiers des retraités, un autre tiers de cadres, soit des personnes qui n’appartiennent pas aux mêmes catégories que les grévistes.
Comment expliquer le renouveau des caisses de grève?
G.R. : Il y a pour moi deux facteurs principaux qui expliquent ce renouveau. D’un côté, les réseaux sociaux numériques ont permis de désenclaver les solidarités ouvrières. Le deuxième facteur est en relation avec les conditions d’exercice de la grève qui se durcissent depuis une dizaine d’années avec le recours systématique au remplacement des grévistes dans des entreprises comme la RATP, la SNCF ou la Poste. Dans ces entreprises, un usage était également concédé sur l’étalement des prélèvements pour éviter des salaires trop faibles. Depuis 2010, c’est beaucoup plus difficile d’obtenir ces négociations.
Dans ce contexte de durcissement, la pérennisation des caisses de grève représente-t-elle un enjeu décisif pour les grèves à venir?
G.R. : La réponse est très variable selon les structures syndicales. La CFDT a sa caisse de grève établie depuis les années 1970, et cela évoluera peu a priori. Certaines expériences sont concluantes, comme pour la CGT Infocom qui a pérennisé sa caisse de grève en ligne depuis 2016, et dont les dons collectés ne cessent d’augmenter. Dans le cadre des retraites, cette caisse a déjà réuni plus de 800 000 euros avant même le début de la grève reconductible. Mais ces expériences ne semblent pas, en revanche, avoir été en capacité d’enclencher une imitation massive de leur démarche.
Comment ces solidarités se renouvellent-elles dans le mouvement actuel?
G.R. : Il existe des initiatives assez variées. Des réalisateurs mettent à disposition leurs films libres de droit pour des projections au profit des caisses de grève. Il y a des repas ou des moments festifs pour collecter, il y a parfois des ventes de produits, comme ce vigneron qui a lancé une cuvée « caisse de grève » au profit des grévistes. Un marathon de gaming est organisé en ligne sur Twitch pour collecter de l’argent, appelé le PiquetDeStream. Et bien sûr des cagnottes en ligne relancées pour certains secteurs comme les cheminots et raffineurs. De manière générale, les caisses de grève se sont toujours adaptées aux progrès technologiques.
Entretien réalisé par Benjamin Grinda