« SI JE SUIS RÉTICENT, VOIRE OPPOSÉ AU WOKISME, SUIS-JE DE DROITE ? » - Par Frédéric PIERRU
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Frédéric Pierru est sociologue, chercheur au CNRS
Pourquoi cette rubrique « Réarmer la gauche sociale et républicaine » ?
Depuis dix ans, nous assistons à la confrontation entre une « gauche » wokisée d’une part, l’extrême centre et l’extrême droite d’autre part. Pris dans cette tenaille, les héritiers de la République sociale peinent à exister. La « gauche » branchée (sur les États-Unis) se contente désormais des combats culturels ou « sociétaux » : redéfinissant le sens et la portée des combats antiracistes et féministes, désormais coupés de toute interpellation du capitalisme et, plus généralement d’un ordre économique ainsi naturalisé, la gauche américanisée pratique le consumérisme identitaire et la concurrence victimaire. Partant, elle peine à cacher son embourgeoisement et sa prolophobie au profit d’une vision communautariste et identitariste de la société. Les valeurs de laïcité et de République sont ainsi abandonnées à l’extrême centre et l’extrême droite qui privilégient eux aussi le terrain sociétal, trop heureux qu’ils sont d’esquiver les enjeux économiques et sociaux. « Wokes » et « antiwokes » tiennent alors le haut du pavé de l’actualité où, désormais, l’outrance le dispute aux questions picrocholines. Cette rubrique se propose de desserrer cet étau mortifère pour la gauche en réarmant, du point de vue des valeurs historiques de la République sociale, les militants de terrain qui, dans leurs organisations politiques, syndicales ou associatives, doivent affronter les pratiques d’intimidation militante et une forme de terrorisme intellectuel. Ce faisant, il s’agit de reprendre à la droite les valeurs que la gauche culturelle a bradées et de réarticuler, comme elles le furent pendant très longtemps, les luttes sociales, féministes, antiracistes et, plus récemment, écologiques.
« Le mouvement de 1995 a vu deux logiques s’affronter : une gauche traditionnelle, derrière le mouvement ; et l’autre réformiste, qui disait : on ne peut pas continuer comme ça. Est-ce qu’il est raisonnable pour une société d’accepter la retraite à cinquante-cinq ans pour les employés de la SNCF ? »
Daniel Cohn-Bendit, ex-leader de Mai-68, député européen, 1996.
Parce que je le vaux bien.
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Cette question, tout militant sincèrement de gauche se l’est posée au moins une fois. Il faut dire que ce dernier, s’il suit l’actualité, peut être intimidé par les termes du débat public. D’un côté, des personnes qui prétendent monopoliser les combats féministes et antiracistes, avec force polémiques sur les barbecues écocidaires, la vie sentimentale agitée de tel ou tel homme politique, la recrudescence de « l’islamophobie » ou encore la « cancel culture ». Cette liste est bien entendu non exhaustive, tant l’imagination de nos professionnels de la représentation semble être infinie. De l’autre côté, l’antiwokisme est une hydre à au moins deux têtes.
L’extrême centre s’est accaparé la défense de la République et de la laïcité, courant « Printemps républicain » de Bouvet, Valls et Macron. L’extrême droite, quant à elle, défend la « civilisation française » contre les menaces du « grand remplacement » islamique. Pris dans ce feu croisé, l’héritier de la République sociale est désemparé. Féru d’économie, de sociologie et de géopolitique, il est souvent accablé par des querelles picrocholines dans lesquelles l’outrance le dispute à la mauvaise foi. L’outrance : le « beauf » honni par la petite bourgeoisie intellectuelle menace la planète par son goût du barbecue ; mauvaise foi : le wokisme n’existe pas, tout comme l’intersectionnalité et la cancel culture ne seraient que des sujets de « panique morale » de la part des hommes blancs hétérosexuels de cinquante ans et plus.
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