Benoît Coquard, sociologue : « LA GAUCHE S’EST COUPÉE DES MILIEUX POPULAIRES »
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Il avait suivi, pendant dix ans, celles et ceux qui deviendraient les Gilets jaunes. Puis écrit Ceux qui restent – Faire sa vie dans les campagnes en déclin. Du coup, on s’est dit que Benoît Coquard, sociologue de son état, était bien placé pour raconter ce gouffre qui se creuse entre la gauche et des électeurs qui filent, élection après élection, au RN. On n’a pas été déçus : il nous a expliqué des trucs passionnants, et dessiné de vraies pistes pour que la gauche reconquière les classes populaires.
1) Aux racines du vote
Fakir : Je voudrais commencer avec un exemple que vous donnez dans votre livre, Ceux qui restent. C’est celui de Ludovic, la trentaine il me semble, ouvrier intérimaire, qui explique qu’il ne peut « pas blairer les racistes », tout en votant Marine Le Pen. Cela semble contre-intuitif…
Benoît Coquard : Ludovic me fait cette confidence à moi, car il sait que je suis de gauche, que je viens du coin, que je vis là : je n’ai pas pour lui la figure classique du sociologue. Mais il n’ira pas forcément le dire aux copains. Dans les coins sur lesquels je travaille, certains affichent un racisme ouvert, frontal, d’autres n’osent pas afficher leur antiracisme. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il ne s’agit pas là d’un racisme théorique, qui fait une différenciation entre de supposées « races », mais une manière de mettre d’autres personnes à distance d’eux-mêmes. Celles qui touchent trop d’allocs par exemple. Dans ce Grand-Est ouvrier, il y a beaucoup de gens de la 2e, 3e génération maghrébine qui sont intégrés aux groupes d’amis. Il y a un autre exemple que je donne dans le livre, celui d’Émilien, qui dans sa bande de copains est entouré de gens racisés, mais qui se définit pourtant lui-même 100 % RN. Il a parfois des accents racistes, mais en même temps il est tout le temps là à défendre ses copains, dans l’équipe de foot par exemple s’ils se font insulter, ne rechignant pas au coup-de-poing. C’est paradoxal, oui, mais beaucoup de gens n’osent pas contredire des leaders d’opinion qui lâchent des réflexions racistes, qui ne sont pas des militants RN, mais plutôt les grandes gueules, les gros poissons dans la petite mare. Il est vraiment compliqué de s’opposer, de sortir de ce cadre, du moule ambiant. On n’entend pas les voix dissidentes, les contre-voix, alors qu’elles sont très nombreuses. Dès qu’on voit les gens en face-à-face, dès qu’on parle aux femmes, par exemple, on voit que les choses sont beaucoup plus complexes.
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