À propos des « passoires thermiques », LE SILENCE D’HÉLÈNE
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Une ville moyenne en France, mai 2025. Hélène, 68 ans, vivait dans une maison de plain-pied à la sortie de la ville, une petite ville nichée entre les collines de cette région. La maison, en pierre, était modeste : trois pièces, le poêle à bois dans le salon, une vieille chaudière à fioul, le jardin où Hélène trouvait à la fois une source d’économie en cultivant des légumes, une source de ravissement avec ses fleurs et une source de vie par l’enracinement que ses gestes, dans ce terrain, animaient depuis tant d’années. Hélène l’avait achetée avec son mari, Raymond, en 2005, après l’avoir louée pendant 15 ans auparavant. Lui employé de banque, elle couturière en usine mais avec de nombreuses périodes de chômage, trop longues pour que toutes aient été rénumérées.
Raymond était mort en 2010. Leurs deux enfants y avaient été élevés et maintenant vivaient loin, l’un à Nantes et l’autre à Toulouse. La maison et une visite à ses enfants une fois par an était tout ce qu’il restait à Hélène : sa maison, c’était à la fois sa mémoire et sa vie présente enracinée dans son jardin, les deux procurant à sa solitude, non pas de la résignation mais une forme de sagesse. Mais en 2025, cette maison n’était plus un refuge. C’était une cage, marquée d’une lettre maudite : G. Hélène n’avait jamais entendu parler du DPE avant 2023. Sa retraite de 720 euros complétée par la location d’une des chambres à des randonneurs ou des ouvriers saisonniers, lui procurait un revenu complémentaire vital de 250 euros par mois. Hélène avait encore 5 ans de crédit de 300 euros à régler à la banque. Cela lui permettait d’économiser pour rendre visite à chacun de ses enfants une fois par an, un extra onéreux mais participant au sens de sa vie. Mais la loi exigeait un diagnostic énergétique pour louer.
En septembre 2023, Hélène avait déboursé 140 euros – une somme arrachée à ses maigres économies – pour qu’un diagnostiqueur vienne. Le jeune homme, avec son ordinateur portable et son mètre laser, avait inspecté la maison en trente minutes. « G, madame. Passoire thermique. Pas d’isolation, fenêtres simple vitrage, poêle inefficace. Faudrait refaire l’isolation, changer les fenêtres, installer une pompe à chaleur. Comptez 35 000 euros. » Hélène l’avait regardé, incrédule. « 35 000 euros ? Mais je ne les ai pas, loin s’en faut, croyez-vous que je puisse économiser ! » Le diagnostiqueur avait haussé les épaules, comme si c’était normal. Il avait ajouté : « Sans travaux, vous ne pourrez plus louer à partir de janvier 2025. C’est la loi. » Hélène n’avait rien répondu. Elle s’était assise, son chat sur les genoux, et avait fixé le mur. La loi Climat et Résilience, elle ne la comprenait pas. Des mots comme « transition énergétique » ou « émissions carbone » lui passaient au-dessus de la tête. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’en janvier 2025, elle ne pouvait plus louer sa chambre.
Les 250 euros envolés, c’était la fin. Elle avait essayé de s’adapter. Elle avait arrêté le fioul, se chauffant juste avec le poêle à bois du salon. L’hiver le jardin ne la nourrissait pas. Et l’hiver 2024-2025, glacial, l’avait brisée. Les factures s’empilaient, son corps s’épuisait. Elle n’avait qu’une issue : vendre. Un agent immobilier était venu en mars 2025, un homme d’une quarantaine d’années, costume impeccable, sourire trop lisse. « Votre maison, avec ce DPE, ça vaut 40 000 euros, pas plus. Le marché est dur, les acheteurs veulent du C ou du D. » Hélène avait senti son cœur se serrer. 40 000 euros ? En 2015, un notaire avait estimé la maison à 120 000. Elle avait murmuré : « Mais c’est toute ma vie, ici. Mon jardin, mes souvenirs… »
L’agent avait coupé : « Les souvenirs, ça ne se vend pas, chère madame. » Derrière lui, Hélène l’ignorait, se cachait une société immobilière basée à Bordeaux, qui achetait les passoires thermiques à prix cassés, rénovaient avec des aides publiques comme MaPrimeRénov’, et les revendaient à 180 000 euros à des citadins ou des touristes. 40 000 euros, elle était passé à la banque. Verdict un remboursement anticipé du prêt pour cause de vente sans motif de déménagement professionnel était de 17000. 23 000 euros serait son seul capital somme trop dérisoire pour prétendre à acheter un appartement même petit. Hélène était seule. Ses enfants, pris par leurs vies, appelaient une fois par mois. « Maman, vends, tu seras mieux en ville », disaient-ils. Mais ils ne comprenaient pas. Elle n’avait pas de connaissance ailleurs, ses voisins étaient âgés, ses amis d’antan disparus ou trop loin.
Elle n’avait pas de smartphone, pas d’ordinateur, juste un vieux téléphone à touches pour appeler ses enfants. Internet elle ne s’y était pas intéressée. Couturière ses mains étaient plus habitués aux métiers et machines à coudre qu’à un clavier. Ses mains c’était la mise en valeur de son jardin et cela lui suffisait et l’enrichissait plus matériellement, émotionnellement et spirituellement qu’un clavier d’ordinateur. Un mot étranger. Elle lisait « L’Écho », le journal local, mais les articles sur les DPE étaient rares, pleins de jargon. Elle était allée à la mairie, un bâtiment en pierre où elle votait depuis toujours. Le maire, un homme d’une soixantaine d’années, l’avait reçue dans son bureau encombré. « Hélène, je sais, c’est dur. Mais on n’a pas de fonds pour aider. Et si on s’oppose au DPE, ils menacent de couper les subventions. » Il avait parlé des normes européennes, des budgets. Hélène avait hoché la tête, mais elle ne comprenait qu’une chose : personne ne l’aiderait. Elle était repartie, ses pas lourds sur le pavé, son chat l’attendant à la maison Hélène avait écrit une lettre au préfet, à la main, comme elle le faisait depuis toujours. Elle racontait sa maison, son histoire toute simple. Pas de réponse. Elle avait voulu croire en un miracle, mais les jours passaient, et la réalité s’imposait. En avril 2025, elle avait signé. 38 000 euros, après une négociation humiliante. Une bouchée de pain pour sa vie. L’agent immobilier, pressé, avait promis que tout serait « vite réglé ». Hélène n’avait pas vu le contrat de la société immobilière, une filiale d’un fonds d’investissement qui transformait les maisons G en gîtes de luxe. Hélène avait loué un studio en centre-ville, à 420 euros par mois. Elle avait emporté son chat, quelques photos, les quelques meubles que son studio pouvait contenir. Elle était allée voir une assistante sociale qui lui avait dit qu’elle pouvait prétendre au minimum vieillesse pour compléter sa retraite maintenant qu’elle n’avait plus le loyer de la chambre. Elle n’avait pas eu la lucidité de se renseigner avant et tant le maire que les autres personnes qu’elle avait contacté avant la vente de sa maison ne le lui avaient dit. Atterrée elle réalisa que mieux renseignée elle aurait pu garder sa maison. Le minimum vieillesse remplaçant le loyer de la chambre. Elle n’avait jamais demandé d’aide elle ne s’imaginait pas cela possible. L’aurait-t-elle demandé si elle avait su avant ? Elle ne sait pas, ce n’était pas inscrit dans sa mentalité mais là avec 420 euros de loyer elle ne pouvait pas faire autrement. Et pus toute sa dignité s’en était allée, remplacée par la résignation. Pourquoi personne ne lui avait rien dit, reste une question qui soulève peut-être d’autres questions ? Hélène était-t-elle trop « en-dehors » pour comprendre pourquoi on ne l’avait pas prévenue. Pourrait-elle croire, si on lui disait, les compromissions sous-jacentes ?
En centre-ville elle était comme écrasée, tournant en rond dans cette petite surface de 25 mètres carré. Elle y était comme une étrangère. Pas d’amis, pas de voisins familiers, juste des bruits de ville qui l’effrayaient. Ses enfants l’appelaient, inquiets, mais elle mentait : « Ça va, je m’habitue. » Elle n’osait pas dire la vérité : elle se sentait morte, arrachée à sa terre. Brisée elle ne trouvait plus de sens. Un jour, elle était retournée. Sa maison était méconnaissable. Le jardin engazonné et asphalté, les murs, la pierre était cachée par un crépi doublant un « isolant », une pancarte : « Gîte Les Pivoines, 120 euros la nuit » De pivoines il n’y en avait plus, juste un slogan. Hélène s’était arrêtée, le souffle coupé. Elle avait pleuré, là, sur le bord de la route, invisible. Une vieille femme, chassée par trois lettres : DPE. Dépossédée, Punie, Exclue. Hélène ne savait pas se battre. Sans internet, sans réseau, elle était coupée du monde. Elle n’avait pas vu les posts sur X, , dénonçant les DPE comme une « spoliation ». Elle n’avait pas entendu parler des collectifs Dépossédés, des pétitions pour un moratoire. Ils menaient ou tentaient de mener un combat mais la loi et la crainte des maires d’être privés de subventions rendait la tâche difficile. Elle était de ces seniors, nombreux, que la loi écrasait en silence. Selon l’Insee, 60 % des logements F ou G appartiennent à des ménages modestes, souvent âgés. Des gens comme Hélène, sans voix, sans clic, sans espoir. Dans son studio, Hélène caressait son chat, et murmurait à son mari défunt : « Raymond, qu’est-ce qu’on a fait de mal ? » Elle ne comprenait pas cette France qui l’avait trahie, qui préférait des étiquettes à ses vieux, une pseudo écologie déconnectée du réel, qui préférait les promoteurs immobiliers à des citoyens « simples ». Hélène, dépossédée, n’était qu’une ombre dans une société qui l’avait oubliée pour d’autres profits.
SOURCE :
Le silence d’Hélène
— Issalis (@aissalis) June 3, 2025
Une ville moyenne en France, mai 2025. Hélène, 68 ans, vivait dans une maison de plain-pied à la sortie de la ville, une petite ville nichée entre les collines de cette région. La maison, en pierre, était modeste : trois pièces, le poêle à bois dans le salon,…